Les relations publiques
On parle beaucoup de l’influence des médias sur l’opinion public aujourd’hui, et de la façon dont ils façonnent notre vision du monde. Les réseaux sociaux sont également arrivés avec leur part de problèmes liés à leurs algorithmes qui favorisent la radicalisation grâce à la mise en avant de posts choquants sur les sujets personnalisés en fonction des préférences de chacun. Réseaux sociaux sur lesquelles les marques se sont rapidement positionnées pour développer et entretenir leur image, désormais grâce à des influenceurs identifiés.
En réalité, ces techniques sont loin d’être nouvelles, et encore plus loin d’être dues au hasard. Dans le milieu des années 1900, un homme, Edward Bernays, neuveux du célèbre Sigmund Freud, a inventé les Relations Publiques. Il les a défini comme « l’application consciente et systématique des recherches, de la persuasion et de la communication humaine pour résoudre les problèmes de relations publiques ». Selon lui, les relations publiques sont utilisées pour manipuler l’opinion publique, afin de promouvoir des idées ou des produits, et de les rendre populaires.
Ces sujets n’inquiétaient pas autant qu’aujoud’hui à l’époque, ce qui lui permi de publiquer « Propaganda », un ouvrage où il arbore fièrement les différents axes qu’il a exploité pendant sa carrière pour permettre à de grandes marques de se développer et de multiplier leur chiffre d’affaires. Parmis ces axes figurent les suivants :
L’utilisation de leaders d’opinion
Selon Bernays, les leaders d’opinion sont des personnes influentes qui peuvent être utilisées pour influencer l’opinion publique. Les relations publiques peuvent donc cibler ces personnes pour les convaincre de promouvoir une idée ou un produit.
Dans les années 1920 et 1930, il était courant de fumer des cigarettes, mais il y avait peu de compréhension du risque pour la santé que cela impliquait. Bernays a été embauché par la American Tobacco Company pour aider à lutter contre les critiques de plus en plus fréquentes sur les effets néfastes de la cigarette sur la santé.
Pour cela, Bernays a créé un groupe de leaders d’opinion, appelé « Le Comité des médecins pour la cigarette », qui était composé de médecins et de scientifiques reconnus. Il a également organisé des conférences pour les médecins, au cours desquelles des experts ont été invités à présenter les avantages supposés pour la santé de la cigarette.
Bernays a ensuite utilisé ces groupes d’influence pour faire passer un message de manière subtile mais efficace dans les médias. Les médecins ont été cités dans des articles de journaux et des émissions de radio, affirmant que la cigarette avait des avantages pour la santé, tels que la réduction du stress et de l’anxiété.
Cette campagne a réussi à réduire les critiques sur la cigarette et à créer une perception positive de celle-ci. Cependant, comme nous le savons maintenant, les cigarettes sont en réalité très dangereuses pour la santé et sont responsables de nombreuses maladies liées au tabagisme, comme le cancer du poumon. Cette campagne de relations publiques a donc eu des conséquences graves pour la santé publique.
La création de l’actualité
Bernays a compris que les médias ont un pouvoir énorme pour façonner l’opinion publique. Il a donc recommandé aux entreprises d’utiliser les médias pour créer des actualités positives autour de leurs produits.
Par exemple, il a organisé un défilé de mode avec des femmes fumeuses pour promouvoir les cigarettes comme étant un symbole de libération pour les femmes. Dans les années 1920, les femmes fumaient rarement en public et la cigarette était encore considérée comme un produit masculin. Cependant, Bernays a été embauché par la American Tobacco Company pour aider à augmenter la demande de cigarettes chez les femmes. Il a réalisé que pour changer les perceptions des gens, il devait créer une nouvelle image de la cigarette et la rendre plus attrayante pour les femmes.
Pour cela, Bernays a organisé un défilé de mode de femmes, appelé « La Marche des torcheuses », lors de la parade annuelle de la Pâque à New York en 1929. Les femmes ont défilé dans la rue en portant des cigarettes et ont allumé leurs cigarettes en même temps, créant ainsi un spectacle de fumée.
Bernays a invité les journalistes à couvrir l’événement, et il a réussi à obtenir une couverture médiatique importante dans les journaux, les magazines et les radios. Il a également persuadé les femmes influentes de l’époque à soutenir l’idée que les cigarettes étaient un symbole de liberté et d’émancipation pour les femmes.
La campagne a été un succès retentissant et a contribué à augmenter la consommation de cigarettes chez les femmes. Elle a également contribué à changer les perceptions culturelles de la cigarette, en la transformant en un produit de mode et de style de vie pour les femmes. Cependant, cette campagne a également eu des conséquences néfastes sur la santé publique, car elle a encouragé la consommation de cigarettes chez les femmes, contribuant ainsi à l’augmentation du tabagisme et des maladies liées au tabac.
La mise en place de sondages d’opinion
Bernays a utilisé les sondages d’opinion pour comprendre les tendances de l’opinion publique et adapter les campagnes de relations publiques en conséquence.
Un exemple de la mise en place du sondage d’opinion par Edward Bernays est sa campagne pour promouvoir l’industrie du diamant aux États-Unis. Dans les années 1930, la société De Beers, qui contrôlait la majorité de la production de diamants dans le monde, a engagé Bernays pour stimuler la demande de diamants aux États-Unis.
Pour cela, Bernays a mené une enquête auprès des femmes pour comprendre leur opinion sur les diamants. L’enquête a montré que les femmes considéraient les diamants comme un symbole de statut social et de réussite. Bernays a alors utilisé ces résultats pour lancer une campagne de relations publiques, qui a créé l’idée que les diamants étaient le symbole ultime de l’amour et de la romance.
La campagne a été un succès retentissant, et elle a aidé De Beers à contrôler le marché du diamant aux États-Unis pendant des décennies. Elle a également établi la tradition de l’achat de diamants pour les fiançailles, qui est toujours en vigueur aujourd’hui.
La manipulation des émotions
Bernays a compris que les émotions peuvent être utilisées pour influencer l’opinion publique. Il a donc recommandé d’utiliser des messages émotionnels pour promouvoir des idées ou des produits.
Par exemple, il a créé une campagne de relations publiques pour encourager les Américains à soutenir la guerre en utilisant des images émotionnelles de soldats courageux. Pendant la Première Guerre mondiale, Bernays a été embauché par le Comité de l’information publique pour promouvoir la guerre auprès de l’opinion publique américaine. Bernays a créé des campagnes de relations publiques pour promouvoir l’idée que les soldats américains étaient courageux et héroïques.
Pour cela, Bernays a organisé des événements pour les soldats, tels que des parades et des cérémonies, qui ont été largement couverts par les médias. Les soldats ont également été présentés comme des héros dans les films de propagande qui ont été diffusés dans les cinémas.
Bernays a utilisé la technique de la manipulation des émotions pour renforcer l’image de courage et de héroïsme des soldats. Il a créé des histoires de soldats courageux et a exploité les sentiments de fierté et de patriotisme des Américains pour les inciter à soutenir la guerre.
Cette campagne a réussi à renforcer l’image de courage et de héroïsme des soldats américains, mais elle a également créé une perception idéalisée de la guerre et des soldats qui a dissimulé les aspects horribles de la guerre, tels que les pertes en vies humaines et les traumatismes psychologiques subis par les soldats.
De nos jours, cette technique de manipulation des émotions est toujours utilisée dans les campagnes de relations publiques pour influencer l’opinion publique. Les publicitaires et les professionnels des relations publiques créent souvent des messages émotionnels pour toucher les consommateurs et les inciter à acheter un produit ou à soutenir une cause. Cependant, il est important de reconnaître cette technique et de prendre du recul pour évaluer de manière critique les messages que nous recevons.
La création de groupes d’influence
Bernays a compris que les groupes d’influence peuvent être utilisés pour promouvoir des idées ou des produits. Il a donc recommandé de créer des groupes d’influence qui peuvent convaincre l’opinion publique.
On peut donner en exemple sa campagne pour promouvoir l’utilisation du bacon au petit-déjeuner. Dans les années 1920, Bernays a été embauché par la société Beech-Nut Packing Company pour augmenter la consommation de bacon aux États-Unis. Pour cela, Bernays a créé un groupe d’influence appelé « Les médecins pour le petit-déjeuner », qui était composé de médecins renommés. Il a ensuite distribué des brochures aux médecins pour leur faire promouvoir l’idée selon laquelle un petit-déjeuner complet devrait inclure du bacon et des œufs. Les brochures ont également mis en avant les bienfaits du bacon pour la santé. Cette campagne a été un succès, car elle a permis de créer une nouvelle habitude alimentaire pour les Américains, en faisant du bacon un aliment incontournable au petit-déjeuner. Cela a également été bénéfique pour la société Beech-Nut Packing Company, qui a augmenté ses ventes de bacon.
7 leviers d’influence de Robert Cialdini
Robert Cialdini est un psychologue américain et professeur émérite en psychologie et marketing à l’Université de l’Arizona. Il est surtout connu pour son travail sur l’influence et la persuasion, notamment son livre « Influence: The Psychology of Persuasion », publié en 1984.
Robert Cialdini est reconnu pour ses recherches sur les facteurs psychologiques qui influencent notre comportement, tels que les biais cognitifs, la conformité sociale, l’autorité, la réciprocité et la preuve sociale. Il décrit par exemple l’expérience d’une amie qui n’arrivait pas à vendre ses bijoux jusqu’au jour où elle en a doublé le prix de vente. La valeur perçue d’une chose par une population cible peut être radicalement changée par la valeur affichée ou proposée.
Dans le cadre de cette anecdote, il met en avant une habitude bien encrée de penser qu’un produit cher est un produit de qualité, et qu’un produit bradé est un produit défectueux. Les habitudes peuvent donc à la fois créer des difficultés d’adhésion à l’adoption de nouveaux produits, mais aussi être des facilitatrices si elles sont correctement exploitées. Les sociétés qui souhaitent vendre ou les personnes qui veulent convaincre utilisent ces brèches neurologiques, ces leviers de l’ordre du trompe l’œil, en créant des scénarii. C’est ce que l’on appelle le story telling. Elles commencent par présenter une expérience positive dans laquelle le public ciblé se reconnaît, sans véritable lien avec la chose à vendre, puis elle raccorde seulement tardivement cette dernière à l’expérience positive. La technicité et la performance du bien ou du service lui-même sont mises au dernier plan, voire oubliées derrière le logo ou symbole de la marque. C’est ainsi qu’une entreprise qui ambitionne de limiter ses investissements en recherche et développement peut organiser sa parade.
Les six principaux leviers d’influence que Robert Cialdini a identifié sont :
Levier | Explication |
Réciprocité | Lorsque vous faites une faveur à quelqu’un, cette personne se sent redevable, même si ce qu’elle rend a plus de valeur que ce que vous lui avez offert. C’est ce qui a inspiré de nombreux principes marketing comme les échantillons gratuits, certaines sectes qui offraient des fleurs gratuitement avant de demander un don, etc. Certains concessionnaires automobiles offrent un café avant de présenter les véhicules (la réciprocité se mêle ici à l’appréciation). |
Engagement et cohérence | Lorsque quelqu’un s’engage oralement face à un groupe ou par écrit, pour soutenir une idée ou dans un objectif donné, alors cette personne est plus à même de tenir cet engagement car il reflète son image. Dans son livre, Robert Cialdini illustre cela avec le lavage de cerveau que faisait subir la Chine aux prisonniers américains en leur demandant d’écrire à quel point le communisme était quelque chose de bien. Certaines marques utilisent également ce principe lors de tirages au sort en faisant écrire aux gens « j’aime cette marque parce que … ». |
Preuve sociale | Nous avons tendance à suivre la foule, à être rassuré par le fait de faire ce que les autres font ; ou par ce que nous avons l’impression qu’ils font. Robert Cialdini donne ici de nombreux exemples, dont celui de la foule qui passe à côté d’une femme en train de se faire agresser. Personne ne réagit parce que le mouvement de la foule rassure sur le fait que si elle se faisait véritablement agresser, quelqu’un aurait déjà agi. |
Sympathie | Nous sommes facilement persuadés par les personnes que nous aimons ou que nous trouvons sympathiques. Robert Cialdini appelle cela le marketing viral et c’est utilisé par les réseaux sociaux avec les mentions « j’aime » par exemple. La marque Tupperware utilise ce levier en proposant à ses vendeurs d’organiser les événements de vente chez des personnes qui invitent leurs amis. Ceux-ci sont comme piégés et se sentent obligés d’acheter. |
Autorité | Le livre Sociologie générale de Pierre Bourdieu permet de mieux comprendre ce levier qui est du ressort de la sociologie. Nous avons tendance à obéir, plus ou moins selon les cultures, à des figures d’autorités, même si les actions demandées sont stupides ou dangereuses. Pour illustrer cela, Robert Cialdini utilise l’exemple des expérimentations de Milgram réalisées dans les années 1960. C’est un test pendant lequel un professeur demandait à un individu d’augmenter la tension électrique d’une décharge infligée à une personne à chaque fois qu’elle répondait faux à un questionnaire. Le caractère autoritaire du professeur a poussé l’individu à envoyer une décharge mortelle en fin d’expérimentation. Les décharges étaient bien sûr factices mais l’individu ne le savait pas. |
Rareté | L’impression de rareté peut parfois générer une demande qui n’aurait pas eu lieu si le bien ou service était disponible en quantité. Certaines marques utilisent ce principe avec la mention « Edition limitée ». |
Unité | Lorsque nous nous reconnaissons dans la personne qui nous parle, alors nous avons tendance à lui faire confiance. Ce levier peut être associé à celui de l’appréciation. Robert Cialdini donne l’exemple des publicités dont le personnage ressemble au public cible pour lui suggérer que le bien ou service proposé est pour lui. |
A plusieurs reprises dans son ouvrage, il traite d’un principe qu’il semble ne pas catégoriser : Le principe du contraste. Il s’applique par exemple lorsqu’un vendeur vous présente un article très cher pour ensuite vous amener vers l’article qu’il avait réellement l’intention de vous faire acheter. Le prix du second article apparaît alors beaucoup moins élevé que s’il avait été présenté en premier. Ce principe est également applicable à la résolution de problèmes. Il arrive que l’on recherche une méthode complexe à un problème simple car tous les problèmes qui nous ont été présentés au préalable étaient complexes.
Les biais cognitifs
Toutes ces techniques d’influence reposent sur l’exploitation des biais cognitifs dont nous sommes tous victimes. Daniel Kahneman est un psychologue et économiste israélo-américain qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2002 pour ses travaux sur la psychologie de la prise de décision. Il est surtout connu pour son livre « Thinking, Fast and Slow » (Système 1, Système 2 en français), publié en 2011, qui examine les mécanismes cognitifs qui sous-tendent notre pensée et notre comportement.
Kahneman a identifié de nombreux biais cognitifs courants qui peuvent affecter notre jugement et notre prise de décision. En voici quelques exemples :
L’effet de confirmation
Nous avons tendance à rechercher des informations qui confirment nos croyances et à ignorer ou minimiser les informations qui les contredisent. Par exemple, si vous êtes convaincu qu’une certaine théorie est vraie, vous pouvez chercher des preuves pour étayer cette théorie plutôt que de considérer des éléments qui pourraient la réfuter.
L’illusion de contrôle
Nous avons tendance à surestimer notre capacité à contrôler les événements et les résultats. Par exemple, si vous jouez à un jeu de hasard, vous pouvez avoir l’impression que vous avez plus de contrôle sur le résultat que vous ne le faites réellement.
Le biais de disponibilité
Nous avons tendance à accorder plus d’importance aux informations qui sont facilement disponibles dans notre mémoire que à celles qui sont plus difficiles à rappeler. Par exemple, si vous avez récemment entendu parler d’un accident d’avion, vous pouvez avoir l’impression que les accidents d’avion sont plus courants qu’ils ne le sont réellement.
L’illusion de corrélation
Nous avons tendance à percevoir une corrélation entre deux événements même s’il n’y a aucune preuve objective de leur relation. Par exemple, si vous avez mangé une certaine nourriture et que vous êtes tombé malade peu après, vous pouvez avoir l’impression que la nourriture a causé votre maladie même si ce n’est peut-être pas le cas.
Le biais d’ancrage
Nous avons tendance à nous fixer sur une première impression ou une première information, même si elle est incorrecte ou inappropriée. Par exemple, si vous négociez le prix d’une voiture, le vendeur peut commencer par proposer un prix très élevé, ce qui peut influencer votre perception du prix juste de la voiture, même si cette première offre était exagérée. Cet exemple rejoint le levier du contraste décrit par Robert Cialdini.
Ces biais cognitifs peuvent nous mener à prendre des décisions qui ne sont pas basées sur des informations objectives ou à sous-estimer les risques et les incertitudes. En les reconnaissant, nous pouvons être plus conscients de nos pensées et de nos comportements, et prendre des décisions plus éclairées.
Comment organiser le Product Management ?
Nous découpons le Product Management en blocs qui représentent chacun des cycles de travaux asynchrones, avec des aller-retours nombreux : Customers & Users Management, Business & Shareholders Management, Team Empowerment & Continuous Improvement, Vision & Strategy, Discovery, Delivery, Operations & Distribution, Launch & Updates, et End of Life. L’ensemble de ces blocs permet d’aboutir à des produits qui émergent et évoluent avec le temps, et qui peuvent déboucher sur des écosystèmes de produits…